AUDITS

La stratégie nationale de lutte contre le terrorisme

Nesrine Massaoud
Nesrine Massaoud
Doctorante en sciences criminelles Présidente de l’association tunisienne de lutte contre le terrorisme

Les premières années de la révolution ont vu un développement sans précédent du terrorisme en Tunisie lequel a montré sa capacité exceptionnelle de continuité, d’adaptation et d’évolution, mobilisant plusieurs espaces : lieux de culte, contrebande, criminalité, exclusion sociale, espace virtuel,[1] ce qui a conduit la présidence du gouvernement en 2015 à constituer un groupe de travail en vue de comprendre le phénomène et tenter de le contrer.

Le document, non publié et daté de janvier 2015, que nous présentons en ce premier numéro de la revue d’études sur le terrorisme, a été établi par un groupe de travail dirigé par un expert tunisien établi dans la capitale française et à qui furent remis pour les besoins du rapport, toutes les données, les chiffres et statistiques. Le rapport, d’une importance capitale, ne contient ni les noms ni la qualité des auteurs du rapport. Non publié, il n’est présenté ni au public, ni aux chercheurs, ni aux services et institutions chargés de lutter contre le terrorisme. Non publié, il semblerait qu’il se soit égaré dans l’un des recoins de la Kasbah[2].

Le rapport porte un titre : « Afin de cantonner le phénomène du terrorisme et d’en tarir les sources. Renforcer les capacités pour éviter, contrer et contenir les opérations terroristes ».Ce rapport est divisé en deux parties : diagnostic et objectifs, principes et plans d’action complétées par un résumé de l’ensemble du rapport.

 

Nous reprendrons dans cette étude, le même plan en deux parties du rapport

 

I. Diagnostic du phénomène terroriste

 

Le diagnostic contient 58 pages divisé en quatre paragraphes.

1.Présentation du phénomène terroriste en Tunisie

Le rapport détermine les principales caractéristiques du terrorisme. Elles sont au nombre de quatre la diversité (التشعب), l’inflexibilité, l’aptitude à l’évolution, l’aptitude à la constance. Il est défini plus généralement comme étant complexe.  

                             

Le rapport fait le constat de l’évolution notable du terrorisme depuis la révolution. Sa capacité à durer, il la doit à des facteurs internes et externes. Sur le plan interne, il peut compter sur un réservoir humain constitué de personnes revenant des zones de conflits. Sur le plan externe, le rapprochement et les liens tissés entre les divers groupes terroristes joint à la situation politique instable de la région[3] lui permettent aussi de perdurer. Sa grande capacité à évoluer sur le plan tactique et stratégique s’accompagne d’une parfaite maitrise de la technologie pour réaliser ses opérations.  

Le rapport souligne que le terrorisme n’est pas un phénomène interne, mais mondial. Les groupes terroristes ont un projet global, celui d’instaurer le califat[4]. La stratégie pour le contrer doit être globale, agir sur l’éducation, la culture, le politique et le social en coopération avec le reste des pays confrontés au même phénomène.

Le rapport fait l’historique de tous les actes terroristes commis par des tunisiens. Avant la révolution, depuis l’assassinat en Afghanistan de Chah Massaoud, en passant par l’attaque du poste frontalier à Sondes dans le gouvernorat du sud Tunisien Tozeur en 1995, celui de la garde nationale à Sarri en Mai 2000, à l’attentat suicide à la synagogue de la Ghriba à Jerba, en 2000, par le terroriste Nizar Naouar sur ordre d’Al Qaida à la découverte du groupe terroriste de Milan en2007. Le rapport fait aussi l’historique des divers attentats commis depuis la révolution.

·       L’aspect géopolitique

Des terroristes tunisiens se sont formés dans des camps d’entrainement dans la région, entre autres au Mali et en Libye, ce dernier pays étant devenu une véritable« maison d’hôtes » abritant des terroristes venus du monde entier. Plusieurs tunisiens se sont aussi entrainés dans les zones de conflit, en Syrie et en Irak. Le retour des terroristes de ces zones, dont la Libye, est l’objet de préoccupations, non seulement en Tunisie, mais dans le monde entier, ce quia amené le conseil de sécurité des Nations Unies à prendre la résolution(n°2178) du 24 septembre 2014.

Les groupes terroristes s’entraident, se soutiennent et sont nombreux dans la région du Sahel, au Mali, en passant par la Libye. Facteur préoccupant permettant le renforcement des terroristes et leur maintien en activité.

·       Dangers et défis

Danger de démantèlement des structures étatiques, de neutralisation progressive des composantes de la société civile et d’épuisement des forces de l’ordre. Danger également dans le retour des jihadistes des zones de conflit, devenus experts dans les opérations d’assassinat, la fabrication des explosifs, le cryptage, la dissimulation etc.

L’autre danger sur lequel le rapport met l’accent c’est la main mise sur l’espace religieux, l’apparition de pratiques et du vocabulaire religieux rigoristes, tels que« le jihad », ou le « taghout ». Mais aussi les liens établis entre l’espace religieux celui de la criminalité et de la contre bandeen particulier. Le danger se trouve également dans le rapprochement avec les groupes terroristes algériens comme l’AQMI[5] et la présence de ces derniers dans les groupes terroristes opérant en Tunisie, mettant leur expérience à profit. Ils dirigent certains de ces groupes et il est fort probable que les premiers camps d’entrainement découverts après la révolution. (Camp de Jbel Sink à Feriana où a trouvé la mort Anis Jelassi ou celui de Souk El Jemma où fut emporté la jambe de Ammar El Felhi, de l’unité anti-terroriste de la garde nationale) aient été sous leur autorité.

La proximité des groupes terroristes avec la population[6] qui s’est construite, à la faveur de tentes consacrées à la prédication ou par l’intermédiaire d’associations caritatives, lesquelles ont organisé des caravanes pour fournir des soins et de la nourriture aux nécessiteux. Les tentes et les caravanes, nombreuses au lendemain de la révolution ont permis aux groupes terroristes de procéder à un recrutement massif.

L’investissement en force d’internet et des réseaux sociaux leur assurent l’anonymat, un large réseautage et la diffusion de leur idéologie.

·       Dangers opérationnels

Entraver le processus démocratique, semer le chaos en attaquant les politiques, les journalistes et les artistes, viser la communauté juive, tuer les touristes, tenter de contrôler les quartiers populaires, et attaquer les forces de l’ordre et les casernes, lesquelles manquent d’équipement et de personnel sont des objectifs et des cibles éclairs pour les terroristes. Il faut ajouter à cela, la faiblesse des services de renseignement, le manque de formation, la trop grande diversité des forces de l’ordre, l’utilisation de l’armée pour des tâches secondaires. Et enfin, le manque grave de coopération avec l’administration pénitentiaire.

II.         La stratégie nationale

·       Objectifs

Tarir les sources du terrorisme et contenir le phénomène. Agir sur ses composantes internes et externes tels qu’exposés plus haut. Pour cela il faut renforcer les capacités de l’Etat pour contrer le terrorisme.

·       Principes

Faire de la lutte contre le terrorisme, une lutte nationale commune à toutes les familles politiques, et y intégrer la coopération internationale.

·       Plans d’action

Couper le cordon qui nourrit les terroristes. Qu’il soit d’ordre religieux, géopolitique ou social. Créer un organisme sécuritaire efficace, coordonné et légal. Ce qui a été fait par la création du pôle sécuritaire anti-terroriste et le comité national de lutte contre le terrorisme.

En conclusion, ce rapport d’une importance capitale et qui met l’accent sur tous les éléments et les stratégies nécessaires pour lutter contre le terrorisme a été sans doute l’objet de tractations politiques qui ont conduit à son enterrement. Il mériterait pourtant d’être publié et présenté par ses auteurs pour faire l’objet d’un débat public indispensable.


[1] Stratégie nationale de lutte contre le terrorisme, rapport due la présidence du gouvernement, janvier 2015, 150 pages, non publié.

[2] Aucun des chefs de gouvernements qui se sont succédés à ce jour n’a fait état ni de son contenu ni même de son existence.

[3] Rapport précité

[4] Rapport précité

[5] Rapport précité, p.48.

[6] En partie les quartiers populaires et les zones défavorisées, p.49 du rapport.